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Fiche


L’art de la construction en pierre sèche : savoirs et savoir-faire

La maçonnerie à pierres sèches est une technique de construction consistant à assembler, sans aucun mortier à liant, des blocs et dalles de pierre, bruts ou ébauchés, pour monter un mur, un voûtement. Les bâtisseurs en pierre sèche sont appelés muraillers.

L'art de la construction en pierre sèche

Toutes les informations sur L'art de la construction en pierre sèche

Localisation géographique :

Territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Communauté concernée (groupes ou individus) :

  • les communautés d’habitants, de bénévoles (ex. Lè Sètches Pîres, Les Crêtes à Cayaux, Les Murays) ;
  • des bâtisseurs isolés ;
  • des professionnels.

Société(s) ou groupe(s) responsable(s) :

Projet Interreg V-A “Pierre sèche dans la Grande Région, patrimoine à haute valeur naturelle et paysagère” (2016-2021), regroupant plusieurs opérateurs de projet en Wallonie, au Grand-Duché du Luxembourg et en Lorraine française, dont le Parc naturel des deux Ourthes, le Centre des Métiers du Patrimoine “la Paix-Dieu” (Agence wallonne du Patrimoine), le Parc naturel Haute-Sûre Forêt d’Anlier et l’asbl Qualité Village Wallonie pour le versant wallon.

La construction à ou en pierre sèche constitue un savoir-faire ancestral utilisé depuis des millénaires dans le monde entier. Si la transmission de ce savoir-faire s'est raréfiée en Wallonie au cours du XXe siècle suite à des évolutions techniques et industrielles, et un mouvement d’abandon ou de réorganisation de certains territoires ruraux, les murs construits il y a plusieurs décennies (et parfois siècles) ont perduré et nous parviennent aujourd’hui : sentinelles du savoir-faire des personnes qui les avaient construits, la redécouverte de ces murs a permis une réelle prise de conscience portant sur leur existence souvent mise en péril (désintérêt et destruction d’un patrimoine immobilier oublié mais pourtant fort présent sur le territoire, savoir-faire quasiment oublié) et a permis de retrouver certains passeurs de ce savoir-faire. Elle a mis en lumière également les nombreuses possibilités que la technique de la pierre sèche permet face à des enjeux actuels d’utilisation raisonnée des ressources, d’aménagement paysager respectueux de la nature, de drain naturel pouvant gérer l’arrivée de l’eau à des endroits sensibles et la dégradation des terres ainsi soutenues, ou encore le potentiel d'accueil de la biodiversité qu’il permet. Les murs en pierre sèche présentent en effet, grâce à leurs nombreux interstices (environ 20% du volume d’un mur), un véritable intérêt sur le plan écologique en termes de biodiversité associée. Ces murs pallient en effet la rareté des milieux naturels rocheux (les rochers naturels et les rares éboulis) dans notre région. Ils comptent, avec les carrières, ruines et enrochements artificiels, comme des sites importants pour une faune et une flore tout à fait particulières, habituellement liées aux milieux rupicoles (substrat rocheux) et aux anfractuosités.

Reconnues dans leur matérialité (éléments de la liste du “Petit patrimoine populaire wallon” depuis 2010), les constructions en pierre sèche sont nombreuses à avoir besoin d’une restauration dans les règles de l’art et les murailleurs professionnels sont, eux, moins présents sur notre territoire.

Heureusement, l’apprentissage de la technique et du savoir-faire connurent un nouvel essor ces dernières années grâce à des associations s'intéressant au patrimoine existant (Fondation Rurale de Wallonie, Qualité Village Wallonie, Service du Patrimoine Culturel de la Province de Namur, Centre des Métiers du Patrimoine “la Paix-Dieu”, Maison de la Poésie d' Amay, projets menés par les Groupes d’Action locale (Gal) Pays de l’Ourthe et Burdinale-Mehaigne ou encore plusieurs Parcs naturels wallons) qui ont fait le lien entre les détenteurs de cette tradition et les habitants et éveillé chez ces derniers cet intérêt grandissant. Le réinvestissement pour la transmission du savoir-faire et la sauvegarde du patrimoine physique, indiscutablement liés dans le cas des constructions en pierre sèche, a permis cette inscription au Petit Patrimoine Populaire Wallon et une certaine continuité dans la sensibilisation depuis.

D’autres démarches de transmission menées par des groupes d’habitants comme les Crêtes à Cayaux (Hainaut) ou Lè Sètches Pîres (Luxembourg) contribuent largement à la vulgarisation de cette technique auprès du grand public. Pour ces deux groupes, il apparaît que les démarches actuelles de reconquête du savoir-faire de la construction en pierre sèche sont fortement associées au lien social créé lors d’un travail commun autour de cette construction, ou le plaisir de construire ensemble, et à l’apprentissage par la pratique d’un savoir-faire ancestralement présent sur notre territoire. Cet intérêt semble peu à peu renouvelé à l’heure actuelle sur le territoire wallon, et on retrouve d’ailleurs petit à petit l’utilisation de cette technique au sein des jardins (privés et parfois publics), avec la création de nouveaux murs en supplément de la restauration des anciens. Quelques entreprises et professionnels (aménagements de jardin, entreprises de maçonnerie, architectes et paysagistes, entreprises de formation par le travail…) sont aussi présents sur le territoire et favorisent la transmission de la technique.

La technique de construction en pierre sèche consiste en l’assemblage de moellons, plaquettes, dalles ou blocs de pierre bruts, souvent non-équarris mais pouvant tout de même être un peu retaillés si nécessaire, en n’utilisant ni liant, ni mortier dans le but de construire un ouvrage stable et durable.

L’agencement de ces pierres, pour peu qu’il respecte quelques règles techniques, ne permet pas une industrialisation de la construction en pierre sèche: chacune des pierres choisies, posées, calées requérant réflexion, rigueur et maîtrise par la personne la mettant en œuvre. L’apprentissage par la pratique du chantier de construction est à privilégier, car l’observation et la participation permettent de se faire à la technique constructive et d’intégrer les règles de base en général plus facilement.

Le tri des pierres selon leur emplacement dans le mur est à réaliser lors du commencement du chantier, afin de faciliter leur choix lors de la construction (pierres de drain, calage, parement, liaison, fondation, couronnement) et de vérifier la solidité de celles-ci (résistance, effritement...) en “sonnant” la pierre (écouter le bruit qu’elle fait lorsqu’elle est heurtée par exemple par un marteau). Les variations de solidité de la pierre se constatent déjà dès l’extraction des pierres dans les “bans” en carrière.

Les pierres les plus solides et lourdes sont placées dans la fondation du mur pour supporter le poids des autres, le mur en entier supportant son propre poids et pouvant également soutenir par exemple la poussée de terres ou la pression de l’eau vive des rivières. Pour ce faire, un mur en pierre sèche est construit avec une épaisseur minimum de 50 à 60 cm à la base, celle-ci dépendant de la pierre disponible (forme, taille, nature), de la hauteur voulue du mur et, pour un mur de soutènement, des caractéristiques du talus à soutenir (nature du sol, usage, inclinaison etc.).

Un fruit (inclinaison), généralement compris entre 5 et 15% doit être respecté pour garantir la stabilité du mur : le mur aura donc une épaisseur légèrement inférieure à son sommet. De plus, une inclinaison équivalente au fruit (le pendage) est donnée à toutes les pierres vers l’intérieur du mur, afin d’éviter une éjection de celles-ci hors du mur par des poussées contraires. Chaque pierre posée doit être calée et il est nécessaire d’éviter des lézardes, “queues de vaches” ou coups de sabre car le croisement des joints dans la hauteur et dans la profondeur du mur est d’autant plus important au sein de la technique de la pierre sèche puisqu’aucun liant ne vient stabiliser et lier les pierres entre elles. Enfin, des pierres lourdes, dites de couronnement, viennent couvrir le mur et le protéger des piétinements animaux et humains afin de le stabiliser. On retrouve également en Wallonie des couronnements en pierres sur chant, calées verticalement les unes contre les autres, lorsque des pierres de taille suffisante pour réaliser le couronnement à plat sont manquantes. Ce type de couronnement, dit “clavé” ou “crêté”, offre une protection supplémentaire par exemple contre le passage des animaux et assure la même fonction que des dalles mises à plat.

Seuls quelques outils spécifiques sont nécessaires pour construire en pierre sèche et ils sont pour la plupart liés à la taille de la pierre et son déplacement du tas vers le mur en construction (marteau pour travailler la pierre, la fendre, barre à mine, brouette…). Comme pour un mur maçonné traditionnellement, des gabarits constitués de lattes de bois, ficelles, chevillettes de maçon doivent être employés pour assurer l’alignement du mur et maintenir le fruit.

L’appellation “murailleur” est la plus fréquemment rencontrée pour désigner le maçon ou la personne qui construit en pierre sèche en Wallonie actuellement.

Le patrimoine immobilier encore existant en Wallonie est présent sous différentes formes : murs de séparation (clôture de jardins, de prairies...) et murs de soutènement (terrasses agricoles, anciens vignobles, retenue de berges et canalisation de l’eau, chemins, soutènement de lieux de culte comme les cimetières, aménagements en lien avec le chemin de fer…) sont les plus connus. Il existe toutefois des typologies plus particulières, comme les calades (pavage de chemin avec des pierres posées sur chant, donc verticalement au niveau du sol) ou encore diverses constructions telles que différents types d’escaliers, des soubassements de granges, des cabanes au sein des murs de soutènement, d’anciens puits et glacières, voire même de petits monuments (Mausolée allemand à Le Sart).

Ce système constructif emploie généralement de la pierre locale, désormais le plus souvent extraite en carrière sur le territoire wallon (et jusqu’au milieu du XXe siècle avec l’approvisionnement au sein des petites carrières locales) mais pouvant également être de la pierre de réemploi (par exemple lors de la démolition d’un ancien bâtiment), voire de la pierre ramassée issue de l’épierrement des champs ou des prairies (par contre et historiquement souvent d’une qualité moindre que celle utilisée pour la construction des habitations). Par cet approvisionnement, les murs en pierre sèche sont représentatifs de la géologie locale et s’intègrent dans le paysage. En Wallonie, le grès, le schiste et le calcaire dans leurs déclinaisons locales sont généralement utilisés

  • Artisanat
  • Connaissance de la nature

Les murailleurs sont moins présents de nos jours, mais ne sont toutefois pas absents. Si le savoir-faire se transmettait auparavant très probablement au sein de la famille entre générations, ce lien fut presque rompu il y a quelques années. La transmission de la technique perdure à l’heure actuelle entre individus, et des témoignages en attestent à divers endroits (ex: Blaton, Engreux, Houffalize, Bastogne, Arlon, Ohey, Saint-Vith…) en Wallonie, surtout dans les zones plus rurales. La volonté de se réapproprier la technique, de transmettre et de restaurer du patrimoine existant est d’ailleurs souvent moteur d’apprentissage ce qui rend ce patrimoine bien vivant à certains endroits.

Désormais, une transmission directe et dans un contexte historique donné (avoir vu quelqu’un construire, par exemple de sa famille, et avoir appris avec) est encore présente dans de très rares cas. Ainsi, en Wallonie, certaines communautés se sont (re)créées autour de cette transmission, laquelle ne se fait pas toujours directement au sein de ces communautés. L’appropriation a pu aussi s’amplifier à partir d’ouvrages techniques, être intégrée par des personnes ayant suivi des initiations ou des stages, ou parfois ayant pratiqué la technique en autodidacte.

De façon générale, la pierre sèche s’apprend toujours par l’enseignement et la répétition des gestes. Ce savoir-faire se partage dès l’organisation de chantier (observation et tri des pierres) et se poursuit tout au long de celui-ci. Actuellement, les règles techniques peuvent être expliquées préalablement de façon théorique (ex: power point, syllabus, publications…), mais elles feront systématiquement l’objet de rappels et de multiples interventions au cours du chantier. La transmission se fait également par des publications internationales, des sites web, etc.

Une volonté forte, mais souvent ponctuelle ou localisée, de sensibilisation et de transmission du savoir-faire se retrouve au sein des habitants, propriétaires ou non de murs existants, et elle est appuyée par la création de certaines associations volontaires et bénévoles, parfois informelles (Crêtes à Cayaux, Sètches Pîres, Murays…).

Par ailleurs, plusieurs organismes institutionnels (Forem, Centre des Métiers du Patrimoine “la Paix-Dieu”...) ou entreprises (Habilux Entreprise de Formation par le Travail) permettent aujourd’hui d’amplifier l’appropriation de ce savoir-faire. Une certaine formalisation commence à voir le jour, sans que cela ne soit systématique, par exemple au sein de l’enseignement secondaire qui pourtant pourrait former une plus “jeune génération” de murailleurs.

Le projet Interreg “Pierre sèche en Grande Région”, en cours jusqu’en décembre 2021, propose des formations à destination des citoyens, ainsi que des formations qualifiantes en partenariat avec l’asbl française “Artisans Bâtisseurs en Pierres Sèches”, basée en Lozère.

Menée du 1er juillet au 15 septembre 2020, une enquête en ligne1 ayant récolté la participation de 125 personnes issues de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Communauté Germanophone révèle que parmi les participants ayant déjà construit un mur en pierre sèche, certains ont appris la technique lors d’une formation/stage (39,5%) ou en autodidacte (28,5%). L’apprentissage lors de bénévolat (17%) ou par la famille/amis (13%) est toujours assez présent, tandis que l’apprentissage en milieu professionnel est assez faible (2%).

De façon générale, la méconnaissance des techniques et des matériaux anciens reste l’une des menaces les plus récurrentes à l’encontre du patrimoine bâti. La pierre sèche n’échappe malheureusement pas à la règle, autant dans son aspect immatériel (savoir et savoir-faire) que dans son aspect matériel (patrimoine immobilier). Ainsi, il arrive régulièrement que le propriétaire d’un mur en pierre sèche, qu’il soit privé ou public, tente de le jointoyer au mortier, qui plus est au ciment.

Si par contre, il a préalablement bien identifié son mur comme étant une maçonnerie à sec et qu’il se retrouve à ne pas savoir le restaurer lui-même, s’impose alors à lui le fait de devoir faire appel à une entreprise. Celle-ci peut proposer des alternatives dont elle maîtrise mieux les techniques (béton parementé, maçonnerie à joints regravés, gabions, etc.) et qui sont formellement soumises à une responsabilité décennale. En Wallonie, la pierre sèche ne bénéficie pas de cette reconnaissance ni de cette garantie. Peu, voire aucune étude technique et économique, n’a été menée sur cet artisanat, au contraire de certains pays voisins (France, Grande-Bretagne). Le résultat de cette méconnaissance débouche sur l’argumentation, venant de la part de nombreux membres du secteur de la construction (prescripteurs, entreprises, maçons, architectes, ingénieurs…), que le mur en pierre sèche est moins pérenne ou qu’il répond moins aux critères de stabilité requis que ceux construits dans les techniques qu’ils pratiquent au quotidien.

Le risque est double lorsqu’une entreprise affirme pouvoir restaurer un mur en pierre sèche tout en dérogeant en fait aux règles de bonne mise en œuvre (par exemple, avec la création d’une semelle en béton, le rejointoiement au mortier de ciment, un liaisonnement insuffisant, etc.). Si le mur présente alors une faiblesse ou un problème, cela risque de détruire complètement ce qu’il reste du mur ancien et de faire mauvaise presse à la technique de la pierre sèche. Il en va de même pour les prescripteurs (ex: architectes paysagistes, communes…) qui proposent l’usage de la pierre sèche sans toutefois en maîtriser complètement les caractéristiques.

Principales difficultés :

  • Le coût de la restauration
  • La tarification de la matière première
  • La tarification de la main d’œuvre

Enfin, si autant de murs en pierre sèche étaient présents sur nos territoires, c’est en partie parce que les propriétaires en étaient les constructeurs. Travail d’hiver pour les paysans et leurs familles, la construction et l’entretien des murs se faisaient sur du temps qui n’était pas consacré aux bêtes et aux champs. L’évolution des techniques agricoles, l’apparition de nouvelles technologies, l’exode rural… tout cela a participé à un changement de la manière de vivre et des mentalités, menant à la perte progressive du savoir-faire.

Actions entreprises pour assurer la sauvegarde ?

  • Des initiatives citoyennes
  • Des initiatives institutionnelles : les projets Leader et Interreg
  • La sensibilisation
  • La reconnaissance institutionnelle

Depuis 2010, le mur en pierre sèche fait partie de ce que l’on nomme en Wallonie “Le petit patrimoine populaire wallon”. Cette appellation regroupe et classe en dix-sept catégories des éléments patrimoniaux qui agrémentent notre cadre de vie et constituent des points d’intérêt et des repères dans notre environnement. Les murs en pierre sèche se retrouvent sous la catégorie consacrée aux biens liés à la faune, à la flore et aux minéraux. Bien que cette reconnaissance ne soit pas une garantie de protection, elle participe à la sauvegarde du patrimoine en pierre sèche et donc du savoir-faire qui lui est lié par le versement d’un subside sur présentation d’un dossier pour la restauration d’un patrimoine existant. L'Inventaire du patrimoine immobilier culturel (IPIC) et avant lui le Patrimoine monumental de la Belgique (PMB), mentionnent ponctuellement et de façon non systématique des murs en pierre sèche dans les notices descriptives des biens recensés. Certains murs se trouvant à proximité d’un bien classé jouissent d’une meilleure attention de par leur présence en zone de protection.

Tous les détails des mesures de sauvegarde sont accessibles dans le dossier complet (pdf)

Dialogue intergénérationnel :

Si c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en muraillant qu’on devient murailleur. La transmission de ce savoir-faire se fait donc autour de la construction d’un mur, rendant ce savoir-faire à la fois tangible et accessible à toutes les générations. Parmi les nombreux stages proposés ces dernières années (38 semaines en Wallonie depuis le début du projet Interreg Va “Pierre sèche en Grande Région”), différentes tranches d’âge ont pu être touchées (de 15 à 75 ans).

Depuis 2005, le groupe de travail “Crêtes à Cayaux” organise en partenariat avec la commune de Bernissart, la Fondation rurale de Wallonie et l’association de jeunesse “Compagnons Bâtisseurs” des chantiers de restauration sur différents sites du village. Pays de mineurs, c’est un des anciens « du fond » Théo Bruneel qui montait encore des murs en pierre sèche, mais sans pouvoir en expliquer les termes précis (Pour lui : « Chaque pierre a sa place, et pour chaque place, il y a une pierre… ») qui a ainsi partagé sa pratique (cfr. article en annexe). Un petit groupe local s’est alors mis au travail pour théoriser cette technique ancestrale, recenser les murs à restaurer et, en accord avec les propriétaires, organiser plusieurs chantiers pour protéger ce patrimoine local. Grâce à cette collaboration, des habitants et de jeunes bénévoles se sont initiés à la technique, une prise de conscience est née dans l’intérêt écologique et patrimonial de ces « Crêtes à cayaux ». A Blaton, suivant leur devise, « les murs ne séparent pas, ils relient les gens » !

Les groupes des Sètches Pîres ou des Murays rassemblent plutôt des adultes, mais restent ouverts à toutes les générations lors de leur pratique.

Le public “enfant” n’est pas en reste, puisque de nombreuses activités peuvent être mises en place assez facilement, par exemple des observations de murs (mesurage, dessins, inventaire…), des constructions de type “Land Art”, des échanges avec un murailleur, des comparaisons du paysage actuel et de celui observable sur photographie ancienne.

Dialogue multiculturel :

La pratique de la construction en pierre sèche est souvent réalisée en milieu rural et parfois urbain, et participe généralement à une identité locale. Des personnes de tous horizons social et culturel, ou d’origine différente peuvent le pratiquer en commun. Le groupe des Sètches Pires définit d’ailleurs la technique de la pierre sèche comme “une technique sans liant mais qui crée le lien”.

Par exemple, une rencontre entre des murailleurs français, belges et luxembourgeois s’est tenue en février 2019, dans le cadre du projet Interreg, lui-même transfrontalier. Cette rencontre a débouché sur la création de binôme de formateurs natifs de France et de Belgique afin d’animer plusieurs stages à destination du public “jeunes internationaux”. Les bénévoles étaient alors issus de pays européens (Belgique,Espagne, Italie, République Tchèque, Turquie…), américains (Mexique), asiatiques (Chine), ou venaient de Centre d’accueil (réfugiés de GuinéeConakry, Palestine, Burkina…).

Le dialogue établi et les divers échanges ont permis de mettre en place au Centre des Métiers du Patrimoine “La Paix-Dieu” une première en Wallonie : un Certificat qualificatif professionnel ouvrier en pierre sèche de niveau 2 (reconnu en France). En 2019, les 10 participants venaient de Belgique, de France et du GD du Luxembourg, cinq d’entre eux ont été diplômés.

Développement durable (environnement, santé, économie inclusive, etc.) :

Dimension environnementale :

  • Élément du maillage écologique : Si l'intérêt écologique des murs en pierre sèche s’observe depuis plusieurs années, c’est principalement de façon empirique. Des similitudes existent toutefois avec d’autres habitats rocheux naturels (front de carrières, pierriers…), tout en se distinguant des murs maçonnés avec un liant par la présence de nombreuses anfractuosités (servant de refuge, d’habitat ou de lieu de reproduction pour de nombreuses espèces) dues aux caractéristiques constructives.
  • Réduction du coût écologique à la construction3 : La construction en pierre sèche demande peu de matériaux et d’outillage. Une économie en termes d’énergie peut donc être faite, en comparaison avec des murs maçonnés avec un liant :

- au niveau du matériau : le coût est quasi nul lorsqu’il s’agit de réemploi de pierre, il peut être réduit lorsque l’apport de nouvelles pierres se fait depuis la carrière la plus proche. Généralement, le murailleur choisit une pierre d’extraction locale ou, tout au plus, régionale, peu ou pas travaillée en carrière, réduisant l’empreinte environnementale de la matière première. L’énergie et l’eau utilisées pour la fabrication de mortier sont également épargnées (production du mortier et machines nécessaires sur chantier).

- au niveau de l’entretien: un entretien régulier du mur lui permet une durabilité sur des décennies. S’il est nécessaire d’intervenir plus fortement (par exemple en cas de panses ou d’effondrement) le mur peut-être partiellement démonté et remonté en réutilisant les pierres.

Dimension économique : La construction des murs en pierre sèche participe à une forme d’économie circulaire, tout en permettant un impact écologique moindre :

  • une pierre locale obtient la préférence du murailleur. D’une part pour son intégration dans le bâti existant et le paysage, d’autre part parce que les avantages écologiques de ces murs s’inscrivent dans les préoccupations environnementales actuelles (mises à mal par la fermeture des micro-carrières qui obligent les murailleurs à s’approvisionner dans une aire géographique parfois un peu plus éloignée) ;
  • le savoir-faire de la pierre sèche constitue également un marché de niche, tant pour les murailleurs que pour les carrières. S’il s’agit d’une part de pouvoir restaurer des murs existants, la technique permet également de répondre à des attentes actuelles, fonctionnelles (bancs, spirales aromatiques, nouveaux aménagements…), voire purement esthétiques (structures décorant les ronds-points, créations artistiques…) ;
  • le réemploi de la pierre, quand il est possible, s’inscrit dans une gestion responsable de la ressource “pierre”, très présente en Wallonie. Il permet également de réduire le coût financier.

Dimension sociale : La dimension sociale du savoir-faire de la pierre sèche transparaît à plusieurs niveaux et via plusieurs bénéficiaires :

  • le citoyen, le promeneur, l’habitant: dans le sens où la possibilité de restaurer/ créer des murs en pierre sèche participe à l’amélioration du cadre de vie. D’une part par la bonne intégration des murs dans le paysage, mais également par l’aspect écoresponsable de ce type de construction ;
  • le bâtisseur: en parfaite cohérence avec le ressenti exprimé par nombre de personnes lors de la crise Covid, le savoir-faire pierre sèche répond tout-à-fait au besoin de prendre le temps. Il amène également un bien-être lié à la satisfaction, voire à la fierté, de construire un élément durable et écologique. La notion d’échange et de partage entre personnes est également très présente dans les témoignages recueillis.

Les savoirs et savoir-faire de la pierre sèche répondent donc pleinement à la notion de développement durable

Diversité et créativité humaine :

De nombreuses typologies de constructions en pierre sèche sont présentes en Fédération Wallonie-Bruxelles et à travers le monde, faisant état de la créativité humaine. Le savoir-faire technique fait d’ailleurs preuve d’une grande capacité d’adaptation, puisque le murailleur a réfléchi et conçu chaque ouvrage afin de répondre à un/des besoin(s) tout en tenant compte des ressources dont il dispose, mais aussi des contraintes et caractéristiques locales (sol meuble ou rocheux, gestion de l’eau, abri nécessaire, système de liaison entre terrasses…).

Actuellement, la créativité et le savoir-faire des murailleurs s’expriment aussi à travers des structures plus originales, telles que des spirales aromatiques, à insectes, abris à hérissons et accueil de la biodiversité des aménagements urbains (bancs, bacs à fleurs, tables d’orientation…) ou encore de véritables œuvres d’art (ex: le Mur géologique de P.Gasparotto à Comblain-au-Pont).

Qu’est-ce que la reconnaissance en tant que Chef d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de la Fédération Wallonie-Bruxelles a apporté à l’élément ?

L’inscription du savoir-faire de la pierre sèche sur la liste des “Chef-d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel” poursuit plusieurs objectifs :

  • reconnaître l’existence des savoirs et savoir-faire de la pierre sèche en accordant le titre de Chef d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de la FWB à la technique de la pierre sèche, elle sera reconnue comme une tradition patrimoniale de notre pays, tout en lui reconnaissant des particularités locales ;
  • reconnaître les spécificités des savoirs et savoir-faire de la technique, en reconnaissant ses particularités, soit, comme une technique à part entière, avec ses propres règles de mise en œuvre, et pratiquée en Fédération Wallonie-Bruxelles (ainsi qu’en Communauté germanophone). Cette reconnaissance apportera une certaine protection du savoir-faire, notamment contre la pratique de personnes ne respectant pas une bonne mise en œuvre et dont les actions peuvent d’une part nuire aux murs en pierre sèche sur lesquels ils interviennent, et d’autre part porter atteinte à la crédibilité de la technique ;
  • encourager les porteurs du savoir-faire par la reconnaissance du savoir-faire de la pierre sèche en tant que Chef d’oeuvre du Patrimoine oral et immatériel de la FWB, les porteurs du savoir-faire et les propriétaires de murs en pierre sèche recevront un précieux encouragement à poursuivre leurs efforts de mise en valeur et de développement de la transmission de ce savoir-faire ;
  • valoriser la technique de la pierre sèche et ses nombreux atouts qu’ils soient constructifs, écologiques et économiques. La reconnaissance des savoirs et savoir-faire de la pierre sèche comme Chef d’oeuvre du patrimoine oral et immatériel de la FWB permettra à la technique de jouir d’une nouvelle visibilité auprès du grand public mais aussi auprès des décideurs qui, sensibilisés, prêteront plus d’attention à la conservation du patrimoine dont ils ont la charge et à l’inclusion de la technique de la pierre sèche dans des nouveaux projets d’aménagement paysager.

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Amandine SCHAUS, Chargée de mission au Parc naturel des deux Ourthe


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