Fiche
Le premier lundi qui suit le 6 janvier, jour de l’Epiphanie, les Tournaisiens se rassemblent autour d’un plat de lapin cuisiné aux proenes et aux rojins (aux pruneaux et aux raisins) et d’une galette des rois, véritable cérémonie, avec rituels établis et chansons en picard.
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Localisation
La tradition du lapin du lundi perdu est largement implantée à Tournai et dans les villages qui forment la commune (le Grand Tournai) depuis 1977, ainsi que dans les communes avoisinantes. Elle persiste également chez les Tournaisiens qui vivent, momentanément ou définitivement, loin de Tournai. Elle reste aussi bien vivace dans la province d’Anvers (où elle se nomme verloren maandag ou verzworen maandag).
On l’observe également dans le Nord de la France, à Lille ou à Douai.
Communauté concernée :
Il n’existe pas de confrérie du « Lapin du lundi perdu ». Par contre, de nombreuses associations locales et personnalités véhiculent la tradition de manière formelle, il s’agit entre autres de :
- Le Cabaret wallon (RCCWT)
- Le CEC Imagine, Maison de la Culture
- L’échevinat de Mr Philippe Robert
- L’office du tourisme de Tournai et de la zone Wapi
- Certaines confréries de carnaval, dont les Spirouettes et les Roubignoles - Certains services clubs, dont le Lion’s Club Les Templiers, Pecq, le Lion’s Club Tournai Childéric et les Jeunes Lion’s
- Nicole Demaret, conservatrice honoraire de la Maison tournaisienne
Et surtout, de manière plus ou moins formelle, les familles tournaisiennes, les groupes d’amis, de collègues, les restaurateurs, les cafetiers, les « expatriés » définitifs ou momentanés, les Tournaisiens de Bruxelles, les kots universitaires, les cantines scolaires, les maisons de repos, les hôpitaux ...
Société ou groupe responsable :
Mr Jacky Legge, chargé de la mise en conformité du MuFim
Mme Marie-Christine Van Wynsberghe
C’est le premier lundi qui suit le 6 janvier, jour de l’Epiphanie, appelé aussi jour des Rois, que les Tournaisiens fêtent le Lundi Perdu. En famille, entre amis, entre collègues, au restaurant ou à la maison, on organise le souper du lapin du lundi perdu. On mange, on boit, on s’amuse beaucoup, on chante « A Tournai, pou bin fair’ cell’ fiêt’... ».
Il a été fêté le 13 janvier 2020, le 11 janvier 2021 et le sera le 10 janvier 2022, le 9 janvier 2023, le 8 janvier 2024, etc.
Le lundi qui suit l’Epiphanie, fixée le 6 janvier depuis le concordat de 1801, les Tournaisiens se rassemblent autour d’un plat de lapin cuisiné aux proenes et aux rojins (aux pruneaux et aux raisins), et d’une galette des rois qui désigne, par une fève y dissimulée, le Roi de la table.
Cette table accueille les membres d’une famille, des amis, des collègues… Et il n’est pas rare qu’au cours du mois de janvier, des Tournaisiens mangent du lapin trois, quatre, cinq fois. Il peut s’agir d’un repas festif, sans plus de rites que la désignation du roi par la fève de la galette. Mais, parmi les familles et les groupes plus soucieux de la tradition, il s’agit bien d’une véritable cérémonie, avec rituels établis.
Les étapes indispensables pour respecter l’ordre de la soirée sont, chronologiquement :
- l’attribution dès l’apéritif des billets des rois qui octroient le rôle de chacun des convives (le verseur, l’annonceur, le valet,…)
- le repas en trois services
- le répertoire des textes et chansons en picard (avec les incontournables et la création constante de nouveaux textes)
- la galette des rois.
Différents jeunes graphistes se sont mis au service des familles et groupes d’amis, en imaginant des boitiers avec l’équipement nécessaire pour respecter les volets de la tradition. Cette forme bien établie date du XXème siècle et les traces en sont nombreuses dans les colonnes de la presse locale.
La description complète de l’élément (tirage des billets des rois, repas, répertoire des textes et des chansons en picard) se trouve dans la rubrique « dossier complet »
- Pratiques sociales, fêtes
- Traditions orales
La transmission de l’élément déploie deux volets différents :
- la transmission du savoir-faire gastronomique (recette qui se transmet dans les familles, dans les écoles d’hôtellerie du Tournaisis, dans les cuisines des restaurants et des collectivités)
- la transmission de l’esprit de la fête (billet du roi, textes et chansons).
La tradition du Lapin du Lundi perdu est un patrimoine vivant, d’abord et avant tout, une tradition familiale. Sa transmission se fait tout naturellement dans l’intimité des cuisines. Encouragées par l’abondance de références, dans les magasins, dans les conversations en famille ou entre amis, dans les médias, ce sont les femmes, les mères, les grands-mères, qui assurent la transmission aux générations montantes.
Ce repas traditionnel est l’objet d’articles dans la presse, de commentaires sur les ondes radio, de reportages dans la presse télévisuelle régionale ou nationale, comme Notélé ou la RTBF, et fait figure de marronnier.
Début janvier, il est surtout au cœur de toutes les conversations : la semaine du Lundi perdu, les Tournaisiens « parlent lapin »
Actions entreprises pour garantir la viabilité de l’élément ?
Sa viabilité est assurée par les groupes qui respectent la tradition de manière formelle et ostensible, comme les Amis de Tournai, la Royale Compagnie du Cabaret Wallon Tournaisien, la Guilde du Mutiau,… Les praticiens, dans ces groupes, se renouvellent constamment et transmettent en leur sein et autour d’eux les savoir-faire et les valeurs de cette tradition. Les restaurateurs jouent un rôle important dans la transmission en proposant, à grand renfort de publicité, d’invitations par les réseaux sociaux, leurs recettes traditionnelles ou revisitées à leur clientèle. Les autorités locales assurent également la perpétuation de la tradition, en apparaissant chaque année à la télévision locale en train de déguster le célèbre lapin du Lundi perdu. L’échevinat de Mr Philippe Robert organise depuis un souper du lundi perdu au cours duquel on respecte fidèlement les rituels.
Un grand nombre d’indicateurs permettent de l’affirmer :
- Elle est inscrite dans le calendrier familial et amical ;
- Des entreprises et des administrations publiques telles l’Administration communale de Tournai, accordent deux heures de congé, le lundi qui suit l’Epiphanie, afin de permettre à leur personnel de préparer la soirée ;
- Les commerçants concernés et les grandes surfaces font la promotion des éléments entrant dans la recette traditionnelle, dont le lapin ;
- Des étals du marché du samedi qui précède sont consacrés en grande partie au lapin et à sa recette traditionnelle ;
- Des restaurants et des restaurateurs proposent le menu du lapin du lundi perdu avec la salade et la galette des rois ;
- Les mess collectifs inscrivent le lapin dans le menu de la semaine ou l’adaptent en remplaçant le lapin par le poulet en raison des petits os ;
- Il s’agit d’un marronnier pour les médias locaux (L’Avenir-Le Courrier de l’Escaut, Dernière Heure, Nord Éclair, Notélé) et régionaux (Vivacité…) ;
- De jeunes graphistes proposent des kits qui assistent à la bonne organisation de la soirée avec recette, rappel historique, billets des rois, bouchon de liège, médaillons qui illustrent les différents rôles.
Même si cela semble peu probable, tant la tradition est ancrée dans le cœur des Tournaisiens, nous pouvons identifier une possible menace : le risque de trop grande récupération commerciale de l’évènement. Pour éviter cette éventuelle décontextualisation et récupération, le MuFIM (Musée de Folklore et des Imaginaires) mais aussi les nombreuses associations locales qui véhiculent la tradition exercent une surveillance permanente des pratiques et n’hésitent pas à dénoncer les entorses à la coutume.
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le lapin du Lundi perdu était dégusté presque partout en Belgique, en Wallonie comme en Flandre, et dans le Nord de la France. C’est à partir de 1919, que seuls les Tournaisiens ont maintenu cet événement et se le sont approprié. C’est ainsi qu’il a évolué d’une manifestation nationale et internationale vers un évènement patrimonial festif local. Aujourd’hui, il sert de point de repère identitaire pour les habitants de Tournai et ses environs.
Une grande majorité de Tournaisiens s’attablent, au lendemain de l’Epiphanie, autour du lapin aux preones et aux rojins avec un sentiment d’appartenance à une communauté qui aime rire, manger, boire et chanter. Outre les chants dédiés au Lapin, on entonne l’hymne local en patois picard « Les Tournaisiens sont là » qui exalte les valeurs de courage et l’indispensabilité de la présence des Tournaisiens pour venir à bout de l’ennemi. Pour les praticiens, pour ceux qui organisent les banquets, le souper au Lapin du lundi perdu présente l’affermissement des liens sociaux et communautaires.
Parmi ces pratiques nourrissant la convivialité et l’identité, ajoutons l’organisation de concours de jeu de cartes, de jeu de fer à la platine, comme celui des 6 et 7 janvier 1970 par la Société des Marodogues et dont l’enjeu était constitué de 8 gros lapins. Des sociétés de jeu de fer organisent toujours régulièrement des compétitions amicales les deux week-ends qui précèdent le lundi perdu avec comme lots, pour les vainqueurs, des lapins.
- Dialogue intergénérationnel : Le souper du Lapin rassemble des convives de tout âge puisqu’il s’agit d’abord d’un repas familial. Il existe entre eux un échange et une transmission de la pratique, on évoque la touche personnelle qu’on apporte à la recette, on compare la note personnelle des parents, des grands-parents, on rappelle des anecdotes de soupers précédents, l’ambiance. On transmet ainsi la connaissance des recettes et les valeurs de convivialité et d’identité qui y sont associées.
- Dialogue multiculturel : Autour du Lapin du lundi perdu se rencontrent des personnes de groupes professionnels, patrimoniaux et régionaux différents. Au cours du repas, on peut observer une bonne entente et un respect mutuel entre divers groupes sociaux, un intérêt accru pour des pratiques festives d’ailleurs …
- Développement durable (environnement, santé, économie inclusive, etc.) : Le souper du Lundi perdu fait partie de la vie sociale et culturelle de la ville de Tournai et des environs. La Maison de la Culture évite, par exemple, de programme un spectacle le soir correspondant au souper du lapin du lundi perdu. Ce repas et ce qui l’entoure perpétuent une tradition séculaire et il recrée le tissu identitaire des habitants de Tournai. Le souper contribue ainsi à leur bien-être relationnel.
La gestion de l’évènement relève de la famille ou du groupe d’amis et elle ne nuit en aucune façon à l’environnement. La préparation du souper contribue par contre à l’animation du centre ville et à la vivacité du commerce. Les restaurateurs et les petits commerces profitent de l’occasion pour promouvoir leur savoir-faire et leur sens de l’accueil.
La tradition du souper du lundi perdu engendre de l’activité économique. De nombreux commerçants et indépendants se félicitent de voir arriver cette période qui, juste après les réveillons de fin d’année, leur permet d’entamer janvier de manière dynamique. Ce sont les éleveurs de lapin, les bouchers, les artisans bouchers qui proposent leurs marchandises sur les marchés : le mutiau, le menu complet (hors la galette), les lapins. Mais aussi les boulangers pour la galette des Rois et des petits pains de table en forme de tête de lapin, les traiteurs, les restaurateurs, les épiciers, tout comme les maraichers pour les éléments de la salade tournaisienne (chicons et mâche ou salade de blé) et les commerçants qui vendent les bières et les vins dégustés au cours du repas généralement bien arrosé (Le Roi boit !).
A titre d’exemple, A la Ferme du Reposoir, on sert, sur les quatre week-ends de janvier, 2000 repas de lapin (3000 en 2019), ce qui représente plus d’une tonne de lapin, ainsi que 250 kg de mutiau. Les soupers du lundi perdu font également travailler les disc-jockeys et les petits orchestres qui assurent l’animation musicale et soutiennent les chansons en picard qui émaillent ces soirées.
- Diversité et créativité humaine : Bien que le souper du lundi perdu revête chez les puristes un aspect rituel et figé, lorsqu’il est célébré en famille ou entre amis, il offre à celui qui reçoit quelques libertés :
- concernant le calendrier : on préférera le week-end qui précède pour inclure les enfants, le midi pour la famille ou les amis venus de loin
- la cuisson du lapin : à la bière brune, blonde, ambrée, locale, au vin blanc, au vin rouge
- le service ou non de la petite saucisse et /ou du mutiau
- le type de saucisse
- les rôles et les billets : on ajoute de nouveaux rôles tels les danseurs par les confréries de carnaval les Spirouettes et les Roubignoles
- Au Café de Paris, à Tournai, on sert le lapin du lundi perdu façon Bunny Burger.
Le merchandising : Des produits dérivés sont apparus récemment.
L’imaginaire : Tout au long de l’année, des parutions, des évènements, des groupes nourrissent l’Imaginaire autour du Lapin du lundi perdu.
A travers ce dossier, les porteurs de la candidature souhaitent montrer que les pratiques familiales et les savoir-faire gastronomiques font aussi, et de belle manière, partie du patrimoine immatériel.
Par la variété de ses expressions (fête, pratiques artisanales, utilisation de langue endogène), le lapin du lundi perdu de Tournai est un bel exemple du patrimoine culturel vivant. La communauté formée par ceux qui organisent et participent au repas démontre un ancrage local important, un souci d’y intégrer le plus grand nombre et une volonté de pérenniser l’élément, notamment en initiant le plus jeunes dès l’école.
Cette reconnaissance pourrait inciter d’autres communautés porteuses de traditions familiales et culinaires à se reconnaître comme détentrices d’un réel patrimoine culturel et ainsi les inciter, elles aussi, à en garantir la pérennité.