Fiche
Le carnaval de Binche est un des plus anciens carnavals de Belgique. Le carnaval « de type binchois » se célèbre dans toute la Région du Centre, mais c'est à Binche qu'il demeure le plus codifié et le plus traditionnel.
Toutes les informations sur Carnaval de Binche
Localisation
Ville de Binche, en province du Hainaut.
Le carnaval « de type binchois » se célèbre dans toute la Région du Centre, mais c'est à Binche qu'il demeure le plus codifié et le plus traditionnel.
Communauté
Tous les habitants de Binche
Groupes
Association de Défense du Folklore (ADF) ; 10 sociétés de Gilles (dont une composée essentiellement d’enfants) ; 4 sociétés de « fantaisie » dont trois issues des établissements scolaires de la Ville de Binche (Pierrots, Arlequins, Paysans et Marins).
Le carnaval ne débute pas lors des Jours Gras mais bien lors des six semaines précédentes, qui sont appelées les festivités pré-carnavalesques. Les samedis et les dimanches avant les Jours gras ont lieu les répétitions en batterie ainsi que les soumonces, qui sont de deux types : les soumonces en batterie et les soumonces en musique. On peut aussi y ajouter les trois bals des Jeunesses politiques de la Ville.
Le cœur du carnaval s’articule autour des trois Jours Gras.
Le Dimanche gras
Le Dimanche gras, les futurs Gilles, Paysans, Pierrots, Arlequins et Marins envahissent les rues de la ville en portant un costume de fantaisie préparé dans le plus grand secret. Choisi et porté par un ensemble d’amis au sein d’une société ou simplement individuellement. Dès 7h du matin, ils parcourent la ville en petits groupes au son des tambours et des violes (orgues de barbarie). Après un repas en famille et entre amis, les travestis se rassemblent vers 15h30 pour défiler de la gare jusqu’au centre-ville au son des tambours et des cuivres. Vers 18h30, le cortège se disloque et les sociétés continuent de déambuler dans les rues et les cafés jusque tard dans la soirée.
Le Lundi gras
La journée du Lundi gras est traditionnellement un jour où la fête se fait plus intime, où les Binchois se retrouvent entre eux. Elle est consacrée à la sortie des enfants qui sont accompagnés des parents mais aussi des Trois Jeunesses politiques de la ville. Ils sortent au son de la viole (orgue de barbarie) le matin, des tambours et des cuivres l’après-midi. Depuis quelques années, des groupes d’adultes costumés sont aussi de sortie ; ils s’appellent « Les Sales Djônes », « Les Mervellous », « Les Chics Types » ou encore « Les Ladies » (groupe de femmes, constitué en 2017).
Le Mardi gras – le matin
La journée du Mardi gras commence tôt, car c’est avant l’aube que les Gilles s’habillent dans l’intimité de leur famille. L’étape la plus importante est le « bourrage », qui consiste en la formation des bosses du Gille (une à l’avant et une à l’arrière) grâce à des torches de paille. La compagne, la femme ou la mère du Gille occupe une place importante, aidant le Gille à fixer les divers éléments du costume, tels que la collerette, la barrette et le mouchoir de cou.
Dès 4 heures du matin débute le « ramassage » : de maison en maison, et en batterie, les Gilles, Paysans, Pierrots, Arlequins et Marins se constituent en petits groupes pour former plus tard dans la matinée une société complète. À l’approche du tamboureur, ils sortent sur le pas de leur porte, pour accueillir les autres membres de leur société respective venus les chercher.
Les sociétés constituées déjeunent vers 7h dans leur local respectif souvent, comme le veut la tradition, avec des huîtres et du champagne. Puis, le visage couvert du masque, en dansant au rythme des tambours, elles convergent vers la Grand-Place où chacune sera, à tour de rôle, reçue par les autorités communales qui remettront publiquement des médailles aux jubilaires pour les longues participations au carnaval (25, 40, 50, 60 années voire plus). Avant de pénétrer dans l’édifice communal, un rondeau est formé en signe de fraternité.
Le Mardi gras – l’après-midi
Après un repas de midi pris en famille et entre amis, les sociétés se regroupent pour danser en direction de la Grand-Place : c’est le cortège aux oranges. Cette fois, le Gille a troqué son masque contre le chapeau de plumes d’autruche (néanmoins, tous les Gilles ne le portent pas) et le ramon contre le panier contenant les oranges qui vont être offertes à la foule. Accompagnés d’une batterie et de cuivres, tous dansent au même rythme des tambours et des airs traditionnels (il en existe 26). Un rondeau sur la Grand-Place clôture cette nouvelle étape.
Vers 20h, le cortège du soir commence et suit le même parcours que l’après-midi, à la lueur des feux de Bengale. Le Gille ne distribue plus d’oranges, mais tient encore le panier en osier tressé, vidé de ses provisions. Arrivés sur la Grand-Place, les groupes forment à nouveau un rondeau. Vers 21h30, un grand feu d’artifice est tiré, clôturant le carnaval par l’embrasement de la devise de la ville « Plus Oultre » (devise de Charles Quint, signifiant « toujours plus loin »).
Les costumes : Si des groupes de fantaisie divers animent encore les Jours gras après la Deuxième Guerre mondiale, ils iront ensuite en s’amenuisant, pour ne plus laisser place vers les années 1980 qu’aux Gilles et aux Paysans, Pierrots, Arlequins et Marins.
Trois sociétés de fantaisie sont constituées d’enfants issus d’établissements scolaires de la ville.
La Société Royale Les Paysans a été fondée en 1930 au sein du Collège Notre-Dame de Bon-Secours. Elle a repris un déguisement porté jadis par une société d’adultes de Paysans, mentionnée dès 1879. Les Paysans disparurent des cortèges carnavalesques de 1926 à 1929.
La Société Royale Les Pierrots, telle qu’on la connaît actuellement, a été fondée en 1937 au sein de l’école des Frères (actuellement le Petit Collège), à l’initiative de Frère Ferdinand, directeur de cette école. Ils peuvent être aussi bien interprétés par des filles que des garçons.
Les Arlequins sont nés en 1965 sous l’impulsion du bourgmestre Charles Deliège, soucieux de voir l’enseignement officiel participer activement au carnaval. Devenu Préfet des études de l’Athénée royal de Binche, Samuël Glotz s’inspira directement de l’Arlequin de la Commedia dell’arte pour élaborer le déguisement.
La Société Royale Les Marins semble avoir été fondée en 1919, mais le personnage du Marin est mentionné pour la première fois en 1877, année qui coïncide aussi avec la date de composition, par le musicien binchois Émile Deneufbourg, de « L’Air des Marins », chanson classique du répertoire des musiques traditionnelles du carnaval de Binche.
La description complète de l’élément (détail des soumonces, détails des costumes, descriptions des groupes, etc.) se trouve dans la rubrique « dossier complet »
- Pratiques sociales, fêtes
« Faire le carnaval » pour les Binchois ne se résume pas à « faire le Gille » (c’est-à-dire s’habiller en Gille) ou à suivre un Gille et à rester dans son sillage ; c’est prendre part à une liturgie qui englobe toute la communauté. À Binche, on « est Gille », on « naît Gille » ou « femme de Gille » ; on trouve un sens à son identité et à son existence durant les Jours gras. Ainsi, par leur participation matérielle et immatérielle, tous perpétuent un rite, le protègent et préservent l’unité et l’identité de la communauté.
La transmission se fait tout d'abord de manière intergénérationnelle au sein de la famille. Les jeunes enfants sont conscientisés depuis leur plus jeune âge à l’importance de perpétuer leur patrimoine, quel que soit leur rôle dans le rituel carnavalesque.
De manière plus pratique, plusieurs éléments sont mis en place pour maintenir vivante la tradition.
- Trois des quatre sociétés de fantaisie (Arlequins, Pierrots et Paysans) sont issus des trois établissements secondaires de Binche. Les élèves participent donc de manière directe au rituel. De plus, les écoles primaires et secondaires de la Ville accordent une partie de leur enseignement au carnaval.
- Le Musée international du Carnaval et du Masque est un garant de ce patrimoine immatériel et les visites guidées de la section « Carnaval de Binche » ont une visée pédagogique et didactique. Une nouvelle section « centre d’interprétation du carnaval de Binche » a été ouverte au Musée en novembre 2018, permettant une visite interactive et complète.
- Il existe à Binche deux écoles de tambours, l’instrument le plus emblématique du carnaval.
- Des cours de « bourrage » (pour les bosses du Gille) sont mis en place pour les personnes intéressées. Beaucoup de femmes y assistent.
- Deux associations (asbl) veillent à la communication, au développement, à la protection et à la mise en valeur du patrimoine binchois. Il s’agit de l’Association de Défense du Folklore (ADF) et de l’Association de Défense du Lundi Gras (ADL).
Actuellement, l’élément ne semble pas menacé de disparition. On peut toutefois remarquer que l’affluence lors de la nuit des Trouilles de Nouilles, qui a lieu le lundi précédant les Jours Gras, tend à diminuer depuis quelques années, et la pratique de l’intrigue a tendance à disparaître, mais on ne peut pas parler de risque de disparition.
Une des menaces principales qui pèsent sur le carnaval est sa dénaturation suite à la présence d’un public trop nombreux, et surtout de photographes, journalistes et autres qui se mèlent de plus en plus au cortège, qui normalement est protégé du public par des barrières. Cependant, de plus en plus de gens sont autorisés à circuler entre les sociétés et dans les rondeaux, dénaturant par là même le rituel, et pouvant éventuellement empêcher la danse des Gilles et leur circulation.
Par le biais de visites guidées et/ou conférences diverses, le Musée international du Carnaval et du Masque participe à la sauvegarde et à la promotion de l’événement.
Binche est une ville historiquement importante dans la région et n’a pas connu de grands bouleversements sociaux pendant plusieurs siècles ; stable, la structure sociale y est celle d’une classe bourgeoise toujours motivée, malgré la crise, à perpétuer ses traditions pour retrouver les fastes du passé. Ce contexte n’est pas sans incidence car à Binche, « réussir » son carnaval ou « participer » au carnaval est aussi une stratégie d’intégration dans une culture que l’on pourrait qualifier d’« insulaire ». La tradition a produit une identité locale très forte en ses murs, que toute la communauté défend avec rage et passion. Pour un Binchois, le carnaval n’a de sens que dans l’enceinte médiévale de la cité.
C’est pourquoi, véritable communion, le carnaval est sans aucun doute un des moments les plus importants dans la vie familiale et sociale des Binchois, et s’étend sur les six semaines de préparatifs pré-carnavalesques qui précèdent le Carême pascal chrétien.
Les sociétés de Gilles – portant des noms tels que les « Récalcitrants », les « Incas », les « Maxim’s », les « Réguénaires » ou encore les « Indépendants » – sont chargées non seulement de recruter pour leurs membres une batterie (soit six tambours et une grosse caisse) et des musiciens (un ensemble de cuivres), mais aussi d’organiser toute la logistique liée au bon déroulement des cortèges ainsi que différentes activités qui permettront de récolter des fonds pour leur fonctionnement. En effet, la participation au carnaval pour un Gille et sa famille représente un certain budget (de l’ordre de 1500 à 2500 euros en fonction du nombre de gilles) : cotisations à la société, confection des costumes du Dimanche, location du costume et du chapeau pour le Mardi Gras ainsi que des frais satellites (champagne, huîtres, consommations, etc.). Pour faire face à ces dépenses, les sociétés organisent toute l’année une « cagnotte ». Cet élément financier est important pour l’anthropologue : c’est toute une ville qui finance, spontanément et collectivement, chaque année, un patrimoine immatériel. Il n’y a donc pas de droit d’entrée demandé aux étrangers et touristes ; il n’y a pas de subside individuel ni de sponsoring commercial derrière une organisation comme celle-là. Ceci n’est pas toujours le cas dans d’autres manifestations en Belgique ou en Europe.
De plus, le costume du Gille est loué chez un artisan. Cette location, qui s’est standardisée dans la seconde moitié du XXe siècle, a sans doute rendu la participation au carnaval plus « démocratique ». En effet, le costume s’étant embourgeoisé au XIXe siècle, sa fabrication est aujourd’hui très onéreuse.
- Dialogue intergénérationnel : Le carnaval est l’occasion de partager une expérience rituelle inter-générationnelle, d’apprendre, de transmettre des savoirs-faire et des savoirs-être et de partager des moments.
Le dialogue intergénérationnel a lieu à tous les niveaux, que ce soit pour la femme, dans l’apprentissage des gestes de l’habillage, du bourrage et de l’accompagnement du Gille, que pour l’homme, dans la transmission des pas de danse et de la manière d’être Gille. Un exemple concret est la présence dans de nombreuses familles de plusieurs générations de Gilles (le grand-père, le père, le fils et le petit-fils). Le fait que la société des petit Gilles (composée que de Gilles enfants ou adolescents) est importante et existe montre d’ailleurs l’importance de la jeune génération dans la reprise de la tradition. La présence d’écoles de tambour montre également que la transmission vers les jeunes générations fonctionne également dans le domaine de la musique. Il en est de même pour la couture chez les femmes qui réalisent les costumes.
- Dialogue multiculturel : Le carnaval est l’occasion d’un dialogue multiculturel, puisque de nombreux touristes étrangers viennent y assister et sont parfois invités dans les maisons privées. C’est aussi un moment sacré, presque comme une communion à laquelle toute la ville prend part et donc, le dialogue multiculturel est pratiqué à tous les niveaux. Des hommes d’origine étrangère peuvent prendre part à l’organisation du carnaval à condition d’être résidant à Binche depuis au moins 5 ans.
- Développement durable (environnement, santé, économie inclusive, etc.) : Le carnaval est un moment sacré où on est en lien avec la nature, puisqu’il s’agit d’un rituel ancien où l’on célèbre le renouveau de la nature. L’environnement est donc par-là pris en compte. L’économie est fortement dynamisée pendant le carnaval, puisque tous les cafés et restaurants du centre-ville sont pris d’assauts par le public.
- Diversité et créativité humaine : Chaque année, notamment pour le Dimanche gras, couturières et artisans fabriquent de nouveaux costumes selon des thèmes variés non imposés, qui ne seront portés qu’une seule fois à l’exception des soumonces en musique l’année suivante. Il en va de même pour les chapeaux de femmes de Gilles que ces dernières sortent à l’occasion du Mardi gras.
La reconnaissance a surtout apporté une aura plus importante, notamment au niveau de la presse, au carnaval binchois. Cependant, l’ADF veille toujours à ce que le contenu de la tradition ne soit pas altéré à des fins médiatiques.
La reconnaissance a un impact positif sur la tradition (plus de diversité dans les nationalités des touristes, plus de rayonnement au national et à l’international) mais elle n’en a pas modifié les fondements, car le carnaval de Binche a toujours fait l’objet d’une publicité importante et eu un public massif. Les quelques évolutions dans les groupes éventuels qui se (re)forment ne sont pas du fait du classement par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
- Références bibliographiques :
La liste n’est pas exhaustive
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S. GLOTZ, "Un épilogue tardif des Fiestas de bains : de la fable historisante au mythe explicatif et au dogme" dans "Les cahiers binchois. Revue de la Société d’archéologie et des amis du Musée de Binche", De Marie de Hongrie aux Gilles de Binche. Une double réalité, historique et mythique, vol. 13, Binche, 1995, p. 149-244.
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- Autres sources : copie d’études, enquêtes, site internet, enregistrement sonores, vidéos, etc. :